Cette présentation dressait un état des lieux des différentes approches de la préservation de la fertilité féminine pendant ou après traitement par chimiothérapie et/ou radiothérapie. Le Pr Anderson insiste en particulier sur l’importance d’une approche individuelle dans le choix de la méthode de préservation, prenant en compte à la fois la situation de chaque patiente, son diagnostic et la stratégie de traitement anticancéreux.

Introduction

La question de la préservation de la fertilité féminine dans le cadre d’une chimiothérapie et/ou radiothérapie anticancéreuse s’est fortement développée au cours des années, et cette discipline est aujourd’hui une des plus importantes de la médecine reproductive.

L’approche classique vise à prélever des ovocytes ou du tissu ovarien avant l’administration du traitement plutôt qu’à protéger l’ovaire. Cette situation est en train de changer et actuellement plusieurs approches proposent de viser la deuxième option.

Certains agents chimiothérapiques et la radiothérapie, de part leurs actions cytotoxiques, ont un effet connu sur les follicules ovariens. Toutefois, les mécanismes précis de ces effets restent peu connus et il est souvent difficile d’anticiper avec certitude leur sévérité. Les travaux récents et en cours explorent cette question, ce qui permettrait d’améliorer la prévention et la prise en charge des patientes.

Le Pr Anderson souligne aussi l’importance de prendre en compte le fait que les traitements cytotoxiques ne touchent pas seulement les ovocytes mais également les cellules granulaires, le stroma ovarien et sa vascularisation. C’est bien une atteinte de l’ovaire dans son ensemble qu’il faut considérer.

Il est aussi important de souligner que les effets des traitements cytotoxiques sur les ovaires et la fertilité sont doubles :

  • Effets immédiats : déplétion des follicules en croissance et insuffisance ovarienne aigue ;
  • Effet au long cours : insuffisance ovarienne précoce.

 

Paramètres à prendre en compte

Tout d’abord il est nécessaire de souligner l’impact de l’âge du diagnostic sur la survenue des d’infertilités et insuffisances ovariennes précoces. Une étude de Letourneau et al met en évidence les corrélations entre les complications ovariennes et l’âge au moment du diagnostic.1 Le risque d’insuffisance ovarienne aigue augmente progressivement avec l’âge, ainsi que le risque d’infertilité malgré une reprise des règles. En revanche, le risque de survenue ultérieure de ménopause précoce est inversement proportionnelle à l’âge au moment du diagnostic : plus les patientes sont jeunes au moment du traitement, plus le risque de ménopause précoce est élevé.

Il existe aussi une corrélation entre le type de cancer et l’incidence des complications, mais il est probable que cette corrélation soit plus liée aux protocoles employés qu’au diagnostic lui-même. L’étude a notamment montré que l’incidence de l’aménorrhée post-chimiothérapie varie de 5% en cas de cancer digestif, à 10% en cas de lymphome non hodgkinien, en passant par le cancer du sein (9%) et la maladie de Hodgkin (8%). La probabilité de ménopause précoce (< 45 ans) a été estimée à au moins 25% en cas de maladie/traitement à l’âge de 30 ans, et augmente significativement chez les patientes traitées plus jeunes, notamment en cas de lymphomes hodgkiniens ou non, ou de cancer digestif (p<0,05).

Une autre étude, mesurant l’impact de différents protocoles thérapeutiques de la maladie de Hodgkin, montre la variabilité sur l’incidence des complications.2 Le risque de ménopause avant l’âge de 40 ans est 20 fois plus élevé en cas de radiothérapie couvrant la région ovarienne, l’utilisation d’un agent alkylant autre que dacarbazine, ou de protocole BEAM ((bis-chloroethylnitrosourée [BCNU], etoposide, cytarabine, melphalan), mais il n’y avait pas de différence statistiquement significative en cas d’administration d’un protocole adriamycine, bleomycine, vinblastine, dacarbazine (ABVD).

Ces études démontrent la nécessité de mesures personnalisées qui prennent en compte l’ensemble des données de chaque patiente, y compris l’âge au moment du diagnostic, l’échéance du projet de grossesse, le diagnostic et le protocole qui sera appliqué.

Une autre étude réalisée par Wallace et al met l’accent sur la variabilité interindividuelle des facteurs prédictifs.3 Elle montre notamment que le nombre de follicules dormants augmente jusque vers l’âge de 14 ans, puis diminue régulièrement jusqu’à la ménopause. Elle montre également que, pour chaque tranche d’âge, le nombre de ces follicules varie d’une femme à l’autre. Celles qui ont moins de follicules dormants auront un risque plus élevé d’infertilité.

 

Préservation de la fertilité

Les follicules peuvent être visés à différents stades de leur développement : follicule primordial, primaire, secondaire, tertiaire ou antral, préovulatoire ou follicule de De Graaf.

Toutefois, il est probable que les effets des traitements cytotoxiques ne s’exercent pas uniquement par le biais de l’effet direct d’apoptose folliculaire, mais aussi par le biais de déclenchement de lésions vasculaires et de fibrose focale du cortex ovarien4.

Toute mesure de préservation envisagée se déroule selon 3 phases :

  • Evaluation de la patiente ;
  • Intervention ;
  • Stockage.

Les techniques les plus utilisées chez les adultes sont la cryoconservation.5 Le développement de la vitrification d’ovocyte a significativement amélioré le potentiel de cryoconservation.6, 7 Le développement de techniques de cryoconservation de tissu cortico-ovarien semble prometteur mais est encore à un stade peu avancé.5

Une étude suggère toutefois que le nombre d’ovocytes récupérés après stimulation chez les patientes ayant un cancer est inférieur à celui dans le groupe contrôle de femmes qui envisagent une fécondation in vitro, mais ces résultats restent à confirmer et à affiner en fonction du type de cancer.8 Une des causes possible pourrait être le taux d’hormone antimüllérienne : un taux bas a été observé dans les lymphomes avant tout traitement chimiothérapique, mais pas dans le cancer du sein9.

 

Protection ovarienne

L’hypothèse selon laquelle la mise au repos des ovaires aurait un effet protecteur lors de l’exposition à des cytotoxiques constitue le rationnel derrière l’utilisation d’agonistes de la GnRH (aGnRH) ou de la Luteinizing Hormone Releasing Hormone (aLHRH) dans ces situations. Les différentes études montrent des résultats parfois contradictoires.

L’étude de Waxman et al, publiée en 1987, n’a pas mis en évidence d’effet protecteur sur l’ovaire et de préservation de la buséréline, un aGnRH.10 Cette étude a porté sur 20 hommes et 8 femmes. La taille de l’échantillon (notamment chez les femmes) n’autorise probablement pas à tirer une conclusion solide de ces résultats.

Plus récemment, Del Mastro et al ont évalué la capacité du triptorelin (un aGnRH) à réduire l’incidence de ménopause précoce chez 281 patientes ayant un cancer du sein, dans le cadre de l’étude ouverte PROMISE-GIM6.11 Les résultats ont été concluants en faveur du triptorelin après un suivi de 12 mois : 25,9% de ménopauses précoces dans le groupe chimiothérapie seule contre 8,9% dans le groupe chimiothérapie + triptorelin (p<0,01).

Moore et al ont étudié l’effet du goserelin (aGnRH) chez 257 patientes ayant un cancer du sein opérable, et l’objectif primaire était le taux d’insuffisance ovarienne aigue à 2 ans définie par une aménorrhée durant les 6 mois qui précèdent l’évaluation.12 Les résultats en faveur du goserelin sont significatifs : 22% d’aménorrhée dans le groupe chimiothérapie seule contre 8% dans le groupe chimiothérapie + goserelin. Cependant des données concernant l’objectif primaire étaient manquantes, ce qui rend difficile l’interprétation des résultats.

L’effet des aLHRH sur la prévention des insuffisances ovariennes précoces a été évalué dans une méta-analyse réalisée par Lambertini et al.13 Elle conclut à une réduction du risque d’insuffisance ovarienne précoce avec l’administration d’aLHRH.

Finalement, un suivi de cohorte sur une période de 5 ans suggère que les aGnRH ne sont pas efficaces sur la réduction des insuffisances ovariennes précoces chez des patientes ayant un lymphome, et n’ont pas modifié la préservation de la fertilité.14

Au total, les résultats contradictoires de l’utilisation des aGnRH et aLHRH ne permettent pas de les recommander comme standard de prise en charge dans l’objectif de préserver la fonction ovarienne pendant un traitement cytotoxique.

 

Nouvelles voies

L’article de Roness et al passe en revue les approches non hormonales de la protection ovarienne, en cours de développement : 15

  • L’activation folliculaire ;
  • AS101, un immunomodulateur ;
  • L’hormone antimüllérienne ;
  • La voie apoptotique, avec deux modulateurs :
    • Imatinib, un inhibiteur de la tyrosine kinase ;
    • Sphingosine-1-phosphate, inhibiteur de la voie céramide-dépendante.
  • Effets vasculaires :
    • Granulocyte colony stimulating factor (G-CSF).
  • Axe hypophyso-gonadique :
    • Analogues et agonistes de la GnRH.
  • Autres voies protectrices possibles :
    • Bortezomib : inhibiteur de l’accumulation nucléaire de la doxorubicine ;
    • Regulation de MDR1 (Multidrug resistance gene) ;
    • Encapsulation des cytotoxiques, avec ou sans ciblage tumoral.

Ces nouvelles voies, au-delà d’apporter de options thérapeutiques supplémentaires, vont permettre d’améliorer la connaissance physiopathologique des lésions ovariennes, et ainsi de continuer à améliorer la prise en charge des patientes.

 

Références :

1 : Letourneau JM et al. Acute ovarian failure underestimates age-specific reproductive impairment for young women undergoing chemotherapy for cancer. Cancer 2012; 118(7): 1933–1939.

2 : Swerdlow AJ et al. Risk of premature menopause after treatment for Hodgkin’s lymphoma. J Natl Cancer Inst 2014; 106(9): dju207.

3 : Wallace WHB, Kelsey TW. Human Ovarian Reserve from Conception to the Menopause. PLoS ONE 2010; 5(1): e8772.

4 : Meirow D et al. Cortical fibrosis and blood-vessels damage in human ovaries exposed to chemotherapy. Potential mechanisms of ovarian injury. Hum Reprod 2007; 22(6): 1626–1633.

5 : Anderson RA et al. Cancer treatment and gonadal function: experimental and established strategies for fertility preservation in children and young adults. The Lancet Diabetes Endocrinol 2015; 3(7): 556-567.

6 : Cobo A et al. Comparison of concomitant outcome achieved with fresh and cryopreserved donor oocytes vitrified by the Cryotop method. Fertil Steril 2008; 89(6): 1657-1664.

7 : Garcia-Velasco JA et al. Five years’ experience using oocyte vitrification to preserve fertility for medical and nonmedical indications. Fertil Steril 2013; 99(7): 1994-1999.

8 : Friedler S et al. Ovarian response to stimulation for fertility preservation in women with malignant disease: a systematic review and meta-analysis. Fertil Steril 2012; 97(1): 125-133.

9 : Lawrenz B et al. Reduced pretreatment ovarian reserve in premenopausal female patients with Hodgkin lymphoma or non-Hodgkin-lymphoma–evaluation by using antimüllerian hormone and retrieved oocytes. Fertil Steril 2012; 98(1): 141-144.

10 : Waxman JH et al. Failure to preserve fertility in patients with Hodgkin’s disease. Cancer Chemother Pharmacol 1987; 19(2): 159-62.

11 : Del Mastro L et al. Effect of the Gonadotropin-Releasing Hormone Analogue Triptorelin on the Occurrence of Chemotherapy-Induced Early Menopause in Premenopausal Women With Breast Cancer. A Randomized Trial. JAMA 2011; 306(3): 269-276.

12 : Moore HCF et al. Goserelin for Ovarian Protection during Breast-Cancer Adjuvant Chemotherapy. N Engl J Med 2015; 372: 923-932.

13 : Lambertini M et al. Ovarian suppression using luteinizing hormone-releasing hormone agonists during chemotherapy to preserve ovarian function and fertility of breast cancer patients: a meta-analysis of randomized studies. Ann Oncol 2015; 26(12): 2408-2419.

14 : Demeestere I et al. No Evidence for the Benefit of Gonadotropin-Releasing Hormone Agonist in Preserving Ovarian Function and Fertility in Lymphoma Survivors Treated With Chemotherapy: Final Long-Term Report of a Prospective Randomized Trial. J Clin Oncol 2016: in press.

15 : Roness H et al. Prevention of chemotherapy-induced ovarian damage. Fertil Steril 2016; 105(1):20–29

 

D’après la communication «Ovarian protection during cancer treatment » de Richard Anderson (Grande-Bretagne), ECE 2016, le mardi 31 mai 2016.