« Il est faux de dire que le manque de sel est toujours sans danger pour la santé»
Le Pr Xavier Girerd, chef de l’unité de prévention cardio-vasculaire à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris. Des études récentes remettent en cause l’intérêt du régime sans sel chez les sujets sains, car le taux de mortalité est aussi fort chez les faibles consommateurs de sel que chez les consommateurs excessifs. Il nous donne les raisons de son désaccord.
L’OMS recommande de limiter la consommation de sel à 5 g/jour, mais vous semblez remettre cela en cause. Pourquoi ?
L’OMS a émis des recommandations, en 2008, avec la fixation de ce seuil à 5 grammes de sel par jour, en consommation quotidienne pour la population de sujets « bien portants ». Or, elle n’a pas pu tenir compte, de données récentes issues d’une très grande étude entreprise par des médecins épidémiologistes : l’étude PURE (1) coordonnée par le Pr Salim Yusuf (cf. Article précédent : « Étude PURE (1/2) »). Cette étude publiée en août 2014 dans la grande revue médicale New England Journal of Medicine, est venue confirmer les résultats d’autres études qui avaient été menées sur des populations moins importantes en nombre, en particulier en Europe. Ces études confirment que les individus qui consomment les quantités les plus importantes de sel ont la mortalité la plus élevée, mais aussi que les individus « bien portants » qui consomment une faible quantité de sel, ont aussi une mortalité élevée ! Finalement, l’étude PURE permet d’établir que l’optimum de la consommation de sel était plutôt entre 8 et 10 grammes par jour et non pas entre 3 et 5 grammes journaliers, comme le recommande l’OMS depuis 2008. L’étude PURE, qui confirme un résultat déjà observé justifie la phrase, « Il est faux de dire que le manque de sel est toujours sans danger pour la santé ».
Que va faire l’OMS suite à la publication de ces résultats, selon vous ?
Les résultats de l’étude PURE font, depuis leur publication, l’objet de contestation de la part des partisans du « manger sans sel » qui disent : « il faut suivre les recommandations de l’OMS ». Mon avis est que lorsque les experts de l’OMS auront pris le temps de se réunir et d’analyser avec objectivité ces études récentes, les messages concernant le seuil optimal à conseiller chez les sujets bien portants seront modifiés vers un seuil plus élevé. En revanche, le message relatif aux effets défavorables d’une consommation excessive persistera, car les études récentes confirment bien qu’au delà de 12 grammes de sel par jour, le risque de survenue de maladies cardiovasculaires augmente indiscutablement. Ce message de santé publique doit être associé à celui d’une limitation de la consommation d’aliments qui contiennent du « sel caché ». En effet, c’est le sel apporté par les aliments qui apportent le plus de sodium dans l’alimentation : le sel rajouté de façon volontaire ne dépasse pas 10% des apports sodés quotidiens. Les 90% restants viennent des aliments. Dans l’alimentation traditionnelle Française, c’est le pain, la charcuterie, le fromage et les préparations qui contiennent ces ingrédients (sandwich, pizza, quiche) qui représentent 80% des apports sodés.
Mangeons-nous trop de sel en France ?
La consommation moyenne chez l’homme est de 8,50 grammes par jour et la consommation moyenne chez les femmes est de 7 grammes environ. Les objectifs du Programme National de Nutrition-Santé, pour la consommation journalière de sel, sont : moins de 8 grammes chez les hommes et moins de 6,50 grammes chez les femmes. Nous sommes déjà assez proches de ces chiffres, donc en France nous ne sommes pas dans un mode de consommation excessive de sel. Peut-être est-ce grâce aux efforts et aux campagnes des institutions ont participé à la sensibilisation des biens portants à manger moins salé, moins sucré, moins gras. Puis, de gros efforts ont été faits par les industriels de l’agroalimentaire : quand ils ont pu diminuer la consommation de sel, ils l’ont fait. Il vaut mieux acheter du pain industriel que celui fabriqué par le boulanger du coin : le pain fabriqué industriellement est moins salé que le pain fait maison. Plus les procédés sont artisanaux, plus il y a de sel dans l’alimentation.
Lors des journées de l’HTA 2014, vous avez déclaré : « 19% des hypertendus sont des consommateurs excessifs de sel » ?
Tout-à-fait. Ce sont des études que nous avons réalisées au cours de l’année 2014 en évaluant de façon très précise le taux de sodium dans les urines des patients hypertendus. On a observé que 19% des personnes souffrant d’hypertension artérielle, étaient des consommateurs excessifs de sel. De plus, il y a une vraie différence entre les sexes : 25% des hommes sont des consommateurs excessifs, contre 13% des femmes. En outre au sein des hommes, plus vous êtes jeunes, plus la proportion de consommateurs excessifs de sel est élevée. Les modes de consommation alimentaire des hommes de 18-25 ans sont : hamburgers, pizzas, aliments préparés qui contiennent beaucoup de composés riches en sel. C’est une population où se trouvent beaucoup de consommateurs excessifs de sel. En revanche, les femmes au-delà de 70 ans ne mangent pas de sel, car en général elles mangent peu. Puis, certaines personnes mangent plus de sel que d’autres. Il faut peut-être les aider à dépister cette consommation excessive qui est très liée à des marqueurs très simples : Si vous voyez quelqu’un qui a un IMC supérieur à 30 et que c’est un homme, vous avez déjà une très forte probabilité qu’il soit un consommateur excessif de sel. La consommation de sel est un reflet de la consommation calorique. On n’est pas gros par hasard, mais parce que vous mangez des aliments riches en gras.
Que faut-il faire, selon vous ?
Il faut sensibiliser les consommateurs excessifs de sel. Pour cela, on doit voir avec eux leurs habitudes alimentaires et les points sur lesquels ils peuvent faire un effort : diminuer les quantités de pain, de fromage, de charcuterie et de certains aliments très riches en sels. J’ai mis au point, au cours de l’année 2014, un test que j’appelle ExSel-test (comité contre l’hypertension comitehta.org) avec 7 questions portant sur la fréquence de consommation d’aliments par jour, par semaine. Si on le fait avec rigueur et bon esprit, on peut voir si l’on est un consommateur excessif, donc diminuer sa consommation de sel en suivant quelques conseils simples.
À suivre
Demain, nous verrons les diverses utilisations du sel dans l’alimentation et autre.
Pour en savoir plus :
(1) O’Donnell M, Mente A, Rangarajan S, et al for the PURE Investigators. Urinary sodium and potassium excretion, mortality, and cardiovascular events. N Engl J Med. 2014.
Ecrire un commentaire