Le professeur Manuel Tena-Sempere a particulièrement développé les nouvelles connaissances acquises dans les mécanismes d’induction pubertaire autour de la voie de la kisspeptine.

Les premières anomalies pubertaires associées à la kisspeptine et à son récepteur ont été rapportées en 2003.1,2 Les souris invalidées développaient un impubérisme par défaut de pulsatilité de la Gonadotropin Releasing Hormone (GnRH) mais l’interaction avec les neurones à GnRH était alors inconnue. Depuis, deux populations de neurones Kiss1 ont été décrites dans les noyaux hypothalamiques, le noyau arqué et le noyau périventriculaire antéro-ventral (AVPV) chez les rongeurs ou la région préoptique chez l’homme. Le rôle central du système Kiss dans l’amorce pubertaire a été précisé : l’amorce pubertaire est associée à une augmentation du niveau d’expression de la kisspeptine et du couplage à son récepteur GPR54 exprimé sur les neurones GnRH. De nombreuses données expérimentales ont été rapportées pour asseoir le rôle central du système Kiss dans l’induction pubertaire : par exemple, les expériences permettant d’exprimer plus tôt la kisspeptine sont associées à un démarrage plus précoce de la puberté, inversement pour celles reculant l’expression de kisspeptine.3

La mise en place de la pulsatilité de la GnRH, via le système kisspeptine et son récepteur le GPR54, est également en interface avec le système neurokinine (TAC3 et TACR3 chez l’homme) coexprimé dans les neurones Kiss1 au niveau du noyau arqué. Les neurones secrétant la kisspeptine et la neurokinine co-sécrètent également la dynorphine, formant le système maintenant dénommé KNDy (kisspeptin-neurokinin B-dynorphin ) au niveau du noyau arqué.4 Les actions stimulatrice de la neurokinine B et inhibitrice de la dynorphine, dans des process d’autosynapse, permettent de coordonner la sécrétion pulsatile de la kisspeptine elle-même régulant la sécrétion pulsatile de GnRH et d’hormone lutéinisante (LH). Ainsi le réseau cellulaire hypothalamique comprend de nombreuses interfaces avec des auto- et rétrocontrôles interneuronaux (figure 1).3

Kisspeptine

Figure 1 : Schéma montrant la neuroanatomie de la voie de signalisation kisspeptine-GnRH et la relation entre les neurones KNDy et GnRH chez l’humain et le rongeur.3

 

 

La pulsatilité de la GnRH est également soumise à une modulation métabolique. Cependant les neurones à GnRH n’expriment pas le récepteur de la leptine et les neurones Kiss1 pourraient faire le lien entre l’état nutritionnel et la reproduction en transmettant cette information aux neurones GnRH.

Dans les modèles murins, le niveau d’ARNm Kiss1 est réduit en situation de jeûne et la perfusion de kisspeptine restaure le tonus gonadotrope en situation de dénutrition chronique. Chez l’homme, la place de la leptine dans l’hypogonadisme hypogonadotrope fonctionnel est connue des cliniciens. Les mécanismes physiologiques sont encore à préciser : son effet pourrait être se faire directement sur le neurone Kiss1 (40% des neurones à kisspeptine expriment le récepteur de la leptine) mais d’autres mécanismes plus indirects par les noyaux paramédians ne sont pas exclus, l’invalidation du récepteur de la leptine sur les neurones à kisspeptine n’induisant pas de retard pubertaire chez la souris. La leptine agit notamment sur les neurones à pro-opiomélanocortine (POMC), eux-mêmes en interaction avec les neurones kisspeptine, le neurone NPY et GnRH.5 Les données expérimentales chez les rats montrent qu’une perfusion intracérébrale d’α-mélanocyte-stimulating hormone (α-MSH, issue du clivage de la POMC) induit un retard pubertaire et que le blocage d’α-MSH diminue de moitié l’expression de Kiss1 dans le noyau arqué. Au niveau de ce noyau il existe de fortes interfaces axonales entre les neurones à kisspeptine, les neurones anorexigènes POMC, les neurones orexigènes à neuropeptide Y (NPY) et les neurones secrétant du GnRH.

Parmi les voies de signalisation de la leptine, la cascade de transduction mTOR1-AMPK est une voie cellulaire importante au niveau hypothalamique, stimulant notamment la production de kisspeptine et par conséquence de GnRH. Les études concernant l’interaction entre AMPK et la sirtuine 1 (sirt-1) dans les processus d’induction pubertaire mériteront d’être suivis, la complémentarité d’action des ces 2 partenaires impliqués dans la régulation du métabolisme énergétique et nutritionnel étant en cours de définition..6 Les expériences chez la femelle rat ont montré une diminution de l’expression de sirt-1 lors de la puberté et l’utilisation d’un de ses agonistes induit un retard pubertaire.

Enfin, l’actualité concerne le rôle clé de l’épigénétique dans l’induction pubertaire avec les petits ARN non codants (miARN) tels que dans le système Lin28/Let-7. En 2009, à partir d’une approche pangénomique, Ong K. et al .avaient montré l’implication de Lin28B dans l’âge de début de puberté, une surexpression de Lin28 étant associée à un retard pubertaire.7 L’équipe de Manuel Tena-Sempere vient de publier le rôle clé des mir-200 et mir-155 dans la mini-puberté et dans l’induction pubertaire.8 Le développement postnatal de l’axe gonadotrope murin est associé à une diminution d’expression de Lin28 avec une augmentation d’expression de mi Let-7. A partir d’un modèle murin conditionnel, Gnrh::cre;DicerloxP/loxP, Messina et al. ont montré que les micro-ARN miR-200 et miR-155 modulent le niveau d’activation du promoteur GnRH en interagissant avec des corépresseurs tels que Zeb1/Cebpb, aussi bien lors de la mini-puberté que pour l’induction pubertaire. Inversement l’administration d’un antagoniste de miR-135 induit une avance pubertaire.

Au total, le démembrement de l’induction pubertaire ne cesse d’être plus complexe avec un nombre conséquent de gènes impliqués dans le développement de l’axe gonadotrope, un rôle clé du métabolisme, mais le mécanisme prépondérant considère actuellement une modulation épigénétique via les miARN.

 

Références :

(1) De Roux N, Genin E, Carel JC, et al. Hypogonadotropic hypogonadism due to loss of function of the KiSS1-derived peptide receptor GPR54. Proc Natl Acad Sci USA. 2003; 19: 10972–10976
.

(2) Seminara SB, Messager S, Chatzidaki EE, et al. The GPR54 gene as a regulator of puberty. N Engl J Med. 2003 Oct 23;349(17):1614-27.

(3)Skorupskaite K, George JT, Anderson RA. The kisspeptin-GnRH pathway in human reproductive health and disease. Hum Reprod Update. 2014; 20(4) : 485–500.

(3) Cheng G, Coolen LM, Padmanabhan V, et al. The kisspeptin/neurokinin B/dynorphin (KNDy) cell population of the arcuate nucleus: sex differences and effects of prenatal testosterone in sheep. Endocrinology. 2010; 151(1): 301–311.

(4) Fu L, Van Den Pol AN. Kisspeptin directly excites anorexigenic proopiomelanocortin neurons but inhibits orexigenic neuropeptide Y cells by an indirect synaptic mechanism. J. Neurosci. 2010; 30 : 10205-10219.

(5) Ruderman NB, Xu XJ, Nelson L, et al. MPK and SIRT1: a long-standing partnership? Am J Physiol Endocrinol Metab. 2010; 298(4): E751-60.

(6) Ong KK, Elks CE, Li S, et al. Genetic variation in LIN28B is associated with the timing of puberty. Nat Genet. 2009; 41(6): 729-33.

(7) Messina A, Langlet F, Chachlaki K, et al. A microRNA switch regulates the rise in hypothalamic GnRH production before puberty. Na neurosci. 2016 ; 19 (6) : 835-844.

 

 D’après la communication « Novel regulatory molecules of pubertal timing » du Pr Manuel Tena-Sempere (Espagne), ECE 2016, le lundi 30 mai 2016.